Erotisme Et Cinéma (4) : « LEssayeuse » De Serge Korber (1976)
Dans le cadre de cette rubrique, ce film ma été recommandé par Micky, mon auteure préférée sur HDS, qui suit fidèlement mes publications et que je remercie pour cette suggestion.
Je mappuie sur larticle paru sur le blog « Cinéma choc », qui contient une analyse du contexte qui conduisit à la condamnation du film de Serge Korber, ainsi quune critique très complète du film, à partir des bandes qui purent échapper à la destruction.
Ce film des années 70 a eu une longue histoire judiciaire, qui s'est terminée par une interdiction totale et même à une demande de destruction des différentes copies. Certaines copies ont échappé à cette destruction.
Si ce film est clairement plus dans le registre porno que dans le registre érotique, il se suit sans déplaisir : tout d'abord, il s'appuie sur un réel scénario, drôle dans certaines scènes, sensuel dans d'autres mais aussi il propose des réflexions très pertinentes sur la société des années 70.
LE SCENARISTE
Serge Korber est un réalisateur français, né à Paris en 1936.
Auteur d'un premier film remarqué (Le Dix-septième ciel), Serge Korber se voit confier par le producteur Alain Poiré la réalisation de la nouvelle histoire signée Michel Audiard, intitulée « Un idiot à Paris ». Satisfait de cette collaboration, Audiard lui offrira par la suite le scénario de La Petite Vertu. Suivent deux films avec Louis de Funès et deux avec Annie Girardot, grandes stars de l'époque. Avec cette dernière, Korber adapte un roman de Catherine Paysan, Les Feux de la Chandeleur, un beau drame dans lequel Girardot incarne en 1972 la mère de Claude Jade et de Bernard Le Coq, délaissée par son mari Jean Rochefort. Donc jusque-là une carrière classique.
En 1975, Serge Korber change radicalement de direction : il délaisse la comédie populaire pour la pornographie ! Pendant 3 ans, il devient « John Thomas », son pseudonyme pour le cinéma X.
Professionnellement au creux de la vague et profitant de l'engouement pour le cinéma d'adulte, Korber tente donc sa chance dans la pornographie, au milieu des années soixante-dix, en mettant en scène une dizaine de films X. Tous tomberont dans les oubliettes du cinéma français, sauf « L'Essayeuse ». Ce film demeurera dans l'histoire, comme victime de la censure. Ce film est tout simplement le seul film, depuis la Libération en 1944, qui fut condamné à la destruction en France !
FILM MARTYR
John Thomas réalise « L'Essayeuse » en 1975, avec comme principaux acteurs Alain Saury (1932-1991), Emmanuelle Parèze (une des rares comédiennes passées du théâtre au cinéma pornographique avant de retrouver les planches) et Pierre Dannyun.
Ce film sera d'abord autorisé puis censuré. Il sera le martyr dune incroyable croisade contre le porno. Classé X, le film est interdit aux moins de 18 ans, mais la Confédération des Associations Familiales Catholiques, ainsi quune quarantaine dautres associations, des scouts aux aveugles et sourds-muets, ont décidé de faire un exemple pour défendre le droit à linterdiction totale. Le film est interdit et condamné à être détruit.
Le réalisateur et les acteurs sont condamnés à des amendes de 400 à 10 000 francs pour outrages aux bonnes murs. La condamnation sera confirmée et amplifiée en appel le 10 juin 1977, les amendes allant alors de 3 000 à 18 000 francs, et la cour d'appel ordonnant « la saisie et la destruction du négatif et de toutes les copies du film ayant servi à commettre le délit »
Plus de quarante ans après, ce procès d'intention, fait à une uvre somme toute bien inoffensive, nous apparaît vraiment injuste et déplacé. Heureusement pour la culture cinématographique française, quelques bandes ont été sauvées.
Comment un petit film porno, plutôt bien ficelé comme LEssayeuse de Serge Korber, a-t-il pu être condamné à être brûlé, sous prétexte datteinte à la dignité humaine ?
Il est bon de rappeler le contexte : en 1974, avec l'arrivée de Valery Giscard d'Estaing au pouvoir, les murs se libéralisent.
Au cinéma, l'émancipation arrive aussi en ce début des années soixante-dix. Venue des États-Unis, où le porno chic explose en 1972 grâce au phénomène « Gorge Profonde », une vague érotique envahit peu à peu les écrans hexagonaux.
En 1974, le succès colossal d' « Emmanuelle » (voir « Lectures érotiques (6). Emmanuelle Arsan : Emmanuelle, la leçon d'homme », paru le 17 décembre 2017) ne fait que confirmer la curiosité grandissante du public pour un cinéma d'adulte, totalement décomplexé des conventions et des murs rigides de la France gaulliste.
En cette même année 75, la moitié du nombre total de spectateurs dans les salles obscures est portée au crédit des films pornographiques !
Mais le 31 octobre 1975, une loi voit le jour, avec l'attribution du X et l'interdiction de ce genre de films aux mineurs. Tous les films pornos à l'affiche se retrouvent alors mis à l'index et condamnés à une diffusion réduite aux cinémas de quartier ou bien à passer après minuit.
Avec cette loi, l'âge d'or de la pornographie française est bel et bien terminé et le genre qui avait pignon sur rue est désormais condamné à la confidentialité et aux affres de la censure.
Pour son malheur, le film de Korber est présenté pour la première fois sur les écrans le 15 octobre 1975. L'Essayeuse va cristalliser toute la haine accumulée par les ligues moralisatrices, ulcérées devant cette « déliquescence des murs ».
Il fallait un film qui paie pour tous les autres. Ce fut lui. Au nom d'un retour de morale aussi brutal qu'inattendu, L'Essayeuse créa un scandale sous la France de Giscard. Triste ironie quand on sait qu'il s'agit certainement de la période la plus libérée au niveau des murs que la France ait jamais connue.
SYNOPSIS
Lena (Emmanuelle Parèze) est essayeuse dans une boutique de lingerie de luxe. Mais la ravissante jeune femme passe beaucoup plus de temps à « essayer » les clientes et clients, qu'à s'occuper des vêtements dont elle a la charge.
De quoi nourrir tous les fantasmes de ces messieurs, qui ne sont pas tous célibataires, et dont certains ne viennent plus pour se faire habiller, mais plutôt pour se faire déshabiller.
Lena est une nymphomane chronique, elle se laisse souvent séduire par ses riches clients et les "essaye" aussi au lit de temps à autre. Un couple en pleine séparation décide de se servir de la jeune femme pour résoudre ses problèmes. Lena tombe aux mains de ce couple pervers.
Un jour, un dénommé Étienne fait irruption dans son magasin. Pour relancer le désir de Karine, son épouse frigide et conventionnelle, l'homme d'affaires fortuné fait de Lena sa maîtresse. Tout d'abord jalouse de cette aventure extraconjugale, Karine va se laisser pervertir par Lena et se prendre peu à peu au jeu, pour se transformer elle-même en une femme qui va assouvir tous ses fantasmes.
COMMENTAIRES
La notoriété de « L'essayeuse » doit beaucoup plus à sa destinée hors du commun qu'à ses « débordements », qui ne sont en fait que des actes pornographiques d'un classicisme tout à fait banal.
Sans être un chef d'uvre pour autant, le film de Korber se laisse suivre sans déplaisir et possède un certain charme. Charme désuet du porno à la française de ces années-là, encore imprégné de la touche « chic » venue des États-Unis.
La réalisation de Korber est d'un classicisme absolu, sans aucun excès hard et se permet d'être distrayante sans infliger au spectateur des scènes de fesses toutes les deux minutes, comme cest devenu la loi du genre. Le cinéaste prend le temps de nous présenter les personnages et en particulier la situation de ce couple en crise qui sera "sauvé" du divorce par une Lena, à la fois ingénue et catin.
L'histoire nous permet d'assister à quelques jolis ébats en pleine campagne et la scène finale, où une chasse à courre avec des participants coutumiers finit en orgie naturiste, est particulièrement réussie. La seule séquence très osée pour l'époque se situe au milieu du métrage : Lena entraîne Karine dans un sauna gay, où des homosexuels font l'amour en partouze. Cette scène assez glauque a peut-être été une des causes des déboires qu'a connus le film par la suite.
Jolie sans être sophistiquée, naturelle sans être vulgaire, aussi à l'aise dans les scènes dialoguées que dans les scènes chaudes, Emmanuelle Parèze actrice réalise une excellente performance. Ses collègues de plateau, sans être géniaux, sont aussi à la hauteur. Bref, ces acteurs sont de véritables comédiens et se situent à des années-lumière des vulgaires bimbos et étalons de bas étage qui s'affichent dans les films pornographiques.
Sans être aussi voluptueux que les classiques de Brigitte Lahaie, le film de Serge Korber fait étalage d'une certaine qualité esthétique au niveau des décors et des tenues vestimentaires des actrices.
Korber introduit quelques passages humoristiques qui maintiennent l'histoire dans une tonalité légère et décomplexée.
CE FILM ET MOI
Je ne mattarderai pas sur le film lui-même, ayant souhaité évoquer dans cette rubrique des films érotiques et non pas des films pornographiques.
Je remercie Micky davoir attiré mon attention sur « lEssayeuse » parce que symbolique dune époque que je nai pas connu, nétant même pas née lors de la diffusion puis de linterdiction du film de Korber et nayant pas vécu la grande époque du cinéma X.
Ce film avait toute sa place dans cette rubrique parce quil symbolise à la fois la libération des murs de ces années et ce quon pourrait qualifier de derniers soubresauts de la censure.
A partir du moment où le film avait été classé X et que donc il était interdit aux mineurs, la sanction qui la frappé, au nom des bonnes murs, est évidemment insupportable, puisquelle sadresse à des adultes. Cest une évidente atteinte à la liberté.
Loin de moi lidée de faire un parallèle avec la censure impériale qui frappa, en 1857, les Fleurs du mal » de Baudelaire (voir « Erotisme et poésie (2) : « Les Bijoux » de Charles Baudelaire », publié sur HDS le 18 février 2020). On ne saurait évidemment mettre sur le même plan un chef duvre de la poésie et un petit film porno. Pourtant, quil sagisse de Baudelaire ou de Korber, le travail de la censure, qui, dans les deux cas, est passé par une décision de justice, est toujours détestable.
Jajouterai que les développements du numérique font que circulent aujourdhui des choses bien plus dangereuses sur internet et envers lesquelles la jeunesse est, cest le moins quon puisse dire, bien mal protégée.
Libérale et libertine, haïssant la censure, je suis fermement pour la protection des mineurs et ce dautant que je suis bien placée pour savoir quelles peuvent être les conséquences davoir accès trop tôt à des uvres qui, comme on dit ne devraient pas se retrouver « entre toutes les mains ». Ce fut mon cas avec des lectures interdites comme « Emmanuelle » (voir « Lectures érotiques (6). Emmanuelle Arsan : Emmanuelle, la leçon d'homme », paru le 17 décembre 2017) ou encore les bandes dessinées de Manara (voir « Lectures érotiques (8). Le Déclic de Milo Manara (Albin Michel) » paru sur HDS le 23 février 2018). Jai expliqué dans ces deux textes les circonstances dans lesquelles jai pu accéder à lenfer de la bibliothèque familiale et limpact que cela eut sur moi, comme étant un élément clé dans le déclenchement de mon hypersexualité.
Certains trouveront peut-être que, comme libertine, ma position est paradoxale. Je répondrai quil ne sagit pas de censure, comme celle qui frappa « LEssayeuse » mais de protection nécessaire dun certain public. Cest très différent et ce film ma permis de faire cette mise au point, en distinguant la censure générale, inutile et inacceptable, en préconisant la protection des mineurs. Un exercice plus difficile aux temps dinternet, mais toujours indispensable.
SOURCES SUR INTERNET
Larticle de « Cinéma Choc » :
http://cinemachoc.canalblog.com/archives/2018/03/02/36171999.html
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